L'alcool, ou la boisson qui complique tout. | Cae.

L'alcool, ou la boisson qui complique tout.

Gabriel Donnovan & Caelainn Jordan.

« Cinquante dollars s'il vous plaît jeune homme. » Tel était le prix à payer pour passer une bonne soirée. Quelques bouteilles n'étaient jamais de trop après tout. Je sortis un billet de mon porte-feuille et le tendis à la caissière, une petite grosse moulée dans une blouse trop petite. Ces caissières n'avaient vraiment pas d'allures parfois, mais je n'étais pas un critique de mode. Je m'emparai donc de mes achats que je fourrai dans un sac, adressant un sourire forcé à la femme derrière la caisse en guise de "bonne journée". Ce soir, c'était à moi d'apporter la boisson, puisque Caelainn s'en était occupée la dernière fois. Dans notre petit studio, chaque semaine, peut importe le jour, nous achetions un stock de bouteilles et passions la soirée à boire. Il fallait bien en profiter tant qu'on était encore jeune pas vrai ? Je sortis du magasin, le sac dans les mains, et partis héler un taxi. Heureusement pour moi, une voiture s'arrêta rapidement près de moi. Il me ramena directement à la maison.

Lorsque je rentrai, je m'aperçus que Caelainn n'était pas là, elle devait certainement encore être cours ou du moins, sur le chemin du retour. Je me souvins alors qu'elle finissait assez tard aujourd'hui. Cela me laisserait le temps de mettre un peu d'ordre ici. C'était assez bien rangé mais il fallait que ce soit parfait pour ce soir. Je commençai alors à ranger ce qui traînait ici et là. Mais je me rendis compte que le studio était étrangement vide sans elle. Il faut dire que désormais, j'avais du mal à me passer de sa bonne humeur, de son sourire, de sa présence tout simplement. Elle avait pris tellement de place en si peu de temps. Il est vrai qu'on se connaissait depuis tout petit, pourtant nous n'avions jamais été très amis. Mais depuis qu'on se revoyait à l'université et qu'on avait travaillé ensemble plusieurs fois, nous nous étions beaucoup rapprochés au point d'emménager ensemble. Seulement, à force d'être tellement proche, j'avais commencé à ressentir une certaine attirance pour mon amie, à qui je ne l'avais pas dit bien sûr. Cette révélation risquerait de tout foutre en l'air entre nous. Et c'était un risque que je n'était pas prêt à prendre.

Après avoir rangé l'alcool dans le frigo, je m'étais affaissé dans le canapé, pour, pourquoi pas, faire un petit somme avant notre soirée. J'allumai la télévision et étirai mes jambes. Ce canapé était un délice pour les articulations. Nous n'aurions pas pu acheter plus confortable. Quand je dis "nous" je parle bien sûr de Caelainn, ayant renoncé à l'argent familial, mes moyens étaient quelques peu limités. Mon attention se reporta sur la télévision disposée sur le meuble en face de moi. Il ne passait pas vraiment de programme intéressant en fin d'après-midi, c'était habituellement des jeux télévisés sans aucun intérêt, mais tout de même divertissant. Je ne tenais jamais bien longtemps éveillé face à celle-ci car sans que je sache pourquoi, je m'endormais toujours plus vite lorsque l'écran était allumé, même s'il passait des programmes totalement dépourvu d'intérêt. Cependant, aujourd'hui, ma sieste fut de courte durée. A peine avais-je fermé les yeux, que le porte s'ouvrit, révélant une jeune femme vêtue d'une robe. Je lâcha un long soupir de protestation. Je n'avais pas envie de me lever de ce canapé si confortable.

La journée avait été longue, très longue à l'université. Mon professeur de psychologie avait sans aucun doute fait un des cours les plus barbants de sa carrière. J'étais donc bien contente d'avoir fini cette journée et d'être sur le chemin du studio, écouteurs dans les oreilles, oubliant l'ennui profond dont j'avais été la victime aujourd'hui. Je n'étais plus qu'à une centaine de mètres de la maison et mes talons claquaient sur le trottoir à chacun de mes pas, mes chaussures étaient noires et hautes de huit centimètres, et allaient très bien avec la petite robe grise que j'avais choisie ce matin. Une fois arrivée devant l'immeuble, je fus heureuse de me souvenir que ce soir, c'était LA soirée de la semaine, la soirée alcoolisée à laquelle je m'adonnais avec Gabriel. Cette semaine, c'était à son tour d'acheter l'alcool qui allait nous emmener bien loin. Sauf que, pour fêter la rentrée, mon meilleur ami et colocataire avait décidé d'acheter un peu plus que d'habitude! Personnellement, ça m'arrangeait bien, dans quelques jours j'allais devoir reprendre mon travail à la boîte de nuit, et j'avais besoin d'un petit remontant qui me ferait oublier que pendant toute l'année, j'allais être matée et tâtée par des vieux pervers qui simulent une réunion d'affaires auprès de leurs femmes et qui vont, en réalité, dans une boîte de strip-tease, fantasmer sur les petites minettes, comme moi, qui se dévêtissent. Bien que ce n'était pas le travail le plus digne et honorifique du monde, je m'éclatais bien à danser et il fallait avouer que c'était très très bien payé, assez pour que j'arrive à payer mon année à Cambridge où les cours ne sont pas franchement donnés. Très peu de gens sont au courant de cette double vie secrète. Gabriel l'est, et c'est d'ailleurs depuis qu'il l'a appris que nous nous sommes rapprochés, il ne pensait pas que j'étais aussi ric-rac niveau argent. Évidemment, il a proposé de m'aider, mais j'ai refusé; je ne voulais pas vivre aux crochets de quelqu'un, encore plus lorsqu'il s'agissait d'un ami. Cependant, nous avons emménagé ensemble car je ne pouvais pas me payer un loyer toute seule, et lui, ne supportait pas trop la solitude.

Bref, j'arrivais enfin à l'appartement. Je retirai mes chaussures, posai mon sac par terre et, dès que je vis Gabriel affalé sur le canapé en train de regarder un programme stupide, je lui courus et sautai dessus. Je déposai un baiser sur son front et un autre sur sa joue et m'assis à côté de lui. Je me blottis tout contre lui et d'un air enfantin lui demandai le programme de la soirée: « hé Gab', on mange quoi et surtout, on boit quoi c'soir? »
Bon c'est vrai, je n'avais pas été très polie et je n'avais même pas demandé à Gabriel comment s'était passée sa journée. Après tout, nous avions toute la soirée pour parler de nos journées respectives et de nos vies en général. Toutes nos soirées alcoolisées comme celle-ci finissaient souvent par une soirée confidences où on se disait tout ce qu'on avait sur le cœur. Nous ne finissions jamais vraiment ivres ou quoi que ce soit, d'ailleurs, je devais faire attention car l'alcool ne faisait pas toujours très bon ménage avec les médicaments que je prenais, ça avait même plutôt tendance à annuler leurs effets. Mais qu'importe, Gabriel était mon meilleur ami, il était au courant de ma schizophrénie, bipolarité et tout ça, et savait plutôt bien comment faire pour me calmer ou pour me gérer lorsque j'étais victime d'une crise d'angoisse, ou encore d'hallucination.

Caelainn m'avait sauté dessus, comme à son habitude. C'était une pratique courant chez ellen et j'avais fini par m'y habituer. Et puis après tout, c'était une preuve d'affection, surtout quand elle déposait deux baisers sur votre visage. Je rougis au contact de ses lèvres, elle ne se doutait vraiment pas de l'effet qu'elle avait sur moi. Mais pas question de lui ouvrir mon coeur, c'était trop tôt et ça risquerait de gâcher notre complicité, ce que je ne supporterais pas. Le fait de vivre ensemble, rendrait aussi cela compliqué. Pour l'instant, je me contenterais de garder ça pour moi et de la serrer dans mes bras comme le ferait n'importe quel meilleur ami. Je passai mon bras autour de ses épaules, et la serra un peu plus fort contre moi. Sans sa voir pourquoi, dès que je me retrouvai près d'elle, tout allait parfaitement bien. Cae était une sorte de fée, qui avait le don de tout rendre merveilleux autour de moi. Je souris face à l'air enfantin qu'elle prit. C'était une habitude chez elle, si bien que je ne réagis pas son manque de politesse. Et puis, on était entre nous.

- On commande chinois ça te dis ? J'ai eu la flemme de faire à manger, enfin, tu me connais. Et puis, j'ai acheté des bières, de la vodka, comme d'habitude quoi.

Caelainn ne buvait jamais trop à cause de ses médicaments, et comme j'étais le garçon le plus adorable du monde, je faisais preuve de solidarité et ne me mettais pas la tête à l'envers non plus. Et puis, si ma coloc' faisait une crise, je ne serais pas en état de la gérer alors je ne préférais pas trop boire. Au début, le fait qu'elle fasse des crises m'avaient un peu fait peur, mais au fil du temps, je m'y étais habitué. C'était un partie d'elle que je devais accepter comme n'importe quelle autre. Je recommençai sourire en la regardant, puis passai une main sur son visage pour éloigner les mèches rebelles qui pendaient devant ses yeux. C'était un devenu un réflexe, chaque fois que quelque chose cachait ne serait-ce qu'un bout du visage de Cae, j'étais obligé de l'enlever. Un peu comme si le visage de ma meilleure amie m'appartenait, dans un sens c'était un peu vrai. Je ne supportais pas qu'un autre garçon la touche, principalement dans cette boîte de strip-tease où elle travaillait. C'était d'ailleurs dans ce même établissement qu'il avait repris contact, après plusieurs années.

- Et sinon, t'as fais quoi aujourd'hui ?

Je saisis la télécommande posée près de l'accoudoir du canapé et commençai à zapper. Il n'y avait rien de bien intéressant à cette heure-ci. Quelques jeux télévisés, plusieurs documentaires, et ce serait bientôt les informations. Encore plus ennuyeux. J'éteignis finalement la télévision et reportai mon attention sur ma colocataire.

Gabriel était vraiment ce genre de mecs trop adorables, toujours à l'écoute et qui ne pouvait rien me refuser. La preuve, à peine arrivée à l'appartement que je lui avais déjà sauté dessus, ne le laissant même pas respirer, et lui, il ne râlait pas, il se contentait de me recevoir dans ses bras, il ne me laissait pas tomber, il recevait les deux gros baisers que je lui attribuais sur chacune de ses joues. Gab' était sans doute fatigué de sa journée, comme moi, il s'était peut être pris la tête avec quelqu'un et était énervé, et pourtant, il ne m'envoyait jamais balader lorsque je lui témoignais la certaine affection que je ressentais à son égard. Je ne sais vraiment quels étaient les choses, les caractères présents en mon meilleur ami qui faisaient que je l'appréciais autant et qu'il était devenu ce qu'il est pour moi aujourd'hui. Le mystère qui l'entoure a sans doute eu un poids majeur dans mon « attirance » pour lui. En effet, étant étudiante en psychologie depuis deux ans, j'arrivais assez bien à décrypter les personnes qui m'entouraient, à encadrer leur personnalité, à comprendre leurs réactions. Avec Gabriel, j'en étais tout bonnement incapable. Je n'avais jamais été fichue d'anticiper une quelconque réaction, et pourtant, je me sentais vraiment connectée à lui, et je savais que j'étais une des personnes qui le connaissaient le mieux. Ce jeune homme m'intriguait beaucoup, et sans doute devais-je lui rendre la pareille. Tout me paraissait incroyablement ambigü entre nous deux, et pourtant, j'adorais notre relation qui m'excitait franchement. De plus, mon attirance pour lui n'était pas que psycholo-mystérieuse, elle était aussi très physique. Depuis que je le connaissais, et depuis que j'étais capable de ressentir une certaine attirance physique envers quelqu'un, j'étais très intéressée par Gabriel, il faut dire qu'il a une sacrée gueule d'ange. Bref, ne nous égarons pas, Gabriel est mon meilleur ami, et le restera.

Ce dernier me fit revenir à la réalité en me demandant si ça me branchait que l'on commande chez le chinois parce qu'il avait vraiment eu la flemme de cuisiner. Un petit sourire apparut sur mes lèvres, il faut dire que Gab avait vraiment beaucoup de qualités, mais pas celle d'être un cordon bleu! Je ne pouvais donc qu'accepter sa proposition, surtout que, mon meilleur ami me connaissait particulièrement bien et savait que j'adorais manger chinois. « Nickel pour le chinois! Mais j'te laisse appeler, j'trouve que le mec est incompréhensible...» Gab enchaina en me disant que, comme d'habitude, il avait acheté des bières et de la vodka. Parfait, cette équipe là nous avait souvent été favorable et on n'allait pas changer une équipe qui gagne!
Gabriel, toujours comme un petit ange qui veillait sur moi, me regardait attentivement et s'amusait à replacer les mèches rebelles qui tombaient de tous les côtés de mon visage. Il était vraiment adorable avec moi. Et au début, il faut avouer que je prenais vraiment mal toute cette affection. Je pensais que Gabriel me prenait pour une handicapée malade incapable de prendre soin d'elle et qui avais besoin d'être assistée, j'avais l'impression qu'il avait pitié de moi et qu'il se sentait obligé de s'occuper de moi. Puis peu à peu, j'avais découvert que, même si d'un côté, Gabriel s'occupait un peu plus de moi que des autres gens à cause de ma maladie et des nombreuses crises auxquelles il avait pu assister, il y avait surtout beaucoup d'affection et d'amitié, beaucoup plus que de la compassion. C'était ce genre de personnes, vraies et sincères qui avaient si longtemps manqué à ma petite vie. Gabriel me faisait un bien fou. Toujours en veillant sur moi, il me demanda comment s'était passé ma journée. Je soupirai, repensant à cette journée ennuyeuse que je venais de vivre. « Franchement Gab', t'aurais du prendre psycho, j'me serais beaucoup moins ennuyée.. Bon, d'habitude j'les aime bien les cours de psycho cognitive. Mais là, le prof a fait un vieux truc sur la mémoire échoique, la mémoire des sons quoi.. Et bref, j'te passe les détails. Et toi alors, elle était comment ta journée? » Je me levai et me dirigeai vers la petite cuisine où j'attrapai deux verres, deux bouteilles de bière, et la bouteille de vodka. Je mis le tout sur un plâteau et réfléchis à quoi on pourrait mélanger tout ça ce soir pendant que mon meilleur ami réfléchissait à sa journée.